IONS NEGATIFS : détachement de Li-

Les résultats expérimentaux concernant Li - sont présentés sur la figure ci-dessous en  ronds rouges. Les sections efficaces près du seuil ont été ajustées à l'aide du modèle de type «sphère dure», et le traitement donne R = 10,3 Å, p = 0,09, a = 4,6 Å et Eth = 1,4 eV, des paramètres assez similaires à ceux trouvés pour H - ou D - (d'énergies de liaison du même ordre de grandeur). La différence entre le seuil apparent dans les sections efficaces Eth et l'énergie de liaison EB = 0,618 eV est due à la répulsion coulombienne entre le projectile électronique et la cible Li-, et qui doit être surmontée pour que le détachement puisse avoir lieu, du moins classiquement. Nos données expérimentales, jusqu'à 100 eV, permettent de vérifier la décroissance prédite par le formalisme de Bethe-Born (valeur asymptotique dans notre mode de représentation logarithmique des données en x E), décroissance également vérifiée par la courbe verte (théorie due à Narain et al). Cette courbe théorique s'écarte des résultats expérimentaux en dessous de 40eV ; ceci est attribué à la difficulté et à l'ancienneté du calcul. Enfin, l'amplitude des sections efficaces, en particulier au maximum, est liée à l'énergie de liaison EB . Intuitivement, plus la liaison est forte, plus les sections sont faibles.

Une formule a été développée par Smirnov en 1968 dans le cadre de la théorie classique de Thomson. Elle permet de relier les sections efficaces de détachement de deux ions A1 et A2, ceci de manière relativement précise. Avec EB A1,A2 et nA1,A2, respectivement les énergies de liaison et nombres effectifs d'électrons actifs dans la couche externe de chacun des anions, cette relation s'exprime par :

.

Cette formule sous-entend de connaître les sections efficaces pour l'un des deux ions. Elle permet ici de prédire que celles pour H - et Li - doivent être très voisines, ces systèmes ayant des nombres d'électrons actifs identiques et des énergies de liaison similaires. Nous avons récemment montré, avec nos travaux sur Li -, qu'une relation du même type - mais « expérimentale » - donne les sections efficaces, selon :

.

et EB sont respectivement exprimées en cm2 et en eV.

Un dernier point important concerne l'hypothétique existence (stabilité) de l'ion Li 2-, un domaine moins polémique que celui concernant H 2-. Des calculs ont été réalisés par Beck qui a traité Li 2- (1s22p3 4S), et a trouvé que le signe de la valeur propre de l'orbitale n'était pas compatible avec un dianion stable.

 

IONS NEGATIFS : détachement/dissociation de l'ion C4-

Discutons brièvement l'isomérisation de l'ion C4-. Les géométries optimisées et énergies relatives sont sur la figure ci-dessous. L'état le plus bas est l'isomère A, de structure linéaire et d'état électronique 2g. La longueur de la liaison centrale vaut 1,343 Å, tandis que celle des liaisons terminales vaut 1,277 Å, en bon accord avec les résultats d'une étude de type CC de Watts et al, de calculs basés sur des méthodes perturbatives de type Möller-Plesset par Ray et Rao, ainsi que des calculs de Schmatz et Botschwina. Trois autres isomères ont été trouvés, situés au moins à 1 eV au dessus de cette structure A. L'isomère B, également linéaire, correspond à un état 2g, et se situe à 1,082 eV au dessus de A. L'isomère C, planaire, de symétrie C2v, est constitué d'un anneau contenant 3 carbones, tandis que l'isomère D, de symétrie D2h, a une forme de type « rhombus ». Les longueurs de liaison pour ces deux derniers isomères sont voisines de celles obtenues par Szczepanski et al, avec un calcul du type DFT/B3LYP. Nous avons trouvé ces structures non-linéaires, respectivement à 1,211 eV et 1,241 eV au dessus de l'isomère A. Pour chacun de ces isomères, nous avons étudié la localisation de l'électron excédentaire, en utilisant une approche du type Mulliken. Nous avons trouvé, comme cela pouvait être présagé, que ce dernier est localisé sur les 2 bouts de chaîne pour les isomères A et B (-0,5 e à chaque extrémité). Pour C, cet électron est essentiellement localisé sur la queue de carbone tandis que pour D, il est localisé sur les deux carbones les plus éloignés l'un de l'autre.

Dans cette expérience, les ions C4- sont produits au sein d'une source à 'sputtering'. La composition isomérique de notre faisceau est un paramètre important à connaître, d'autant plus qu'il existe quatre structures stables. En fait, il en existe une cinquième non-planaire de symétrie C2v, de type diamant, mais que nous pensons ne pas avoir peuplé dans notre faisceau en raison de sa fragilité. Au début des années 90, Zajfman et al ont étudié le photodétachement de petits agrégats de carbone chargés négativement avec une source d'ions similaire à la nôtre, et ont trouvé un seuil de détachement à environ 2,1 eV. Cette valeur est très compatible avec celle de l'affinité électronique prédite pour la forme rhombus, soit 2,192 eV, plutôt qu'avec celle de 3,75 eV calculée par Watts et Bartlett pour l'isomère A, le plus bas en énergie. D'un autre côté, Bhardwaj et al ont aussi produit des ions C4- avec une source similaire, mais eux prétendent n'avoir produit que l'isomère A. Ces deux faits sont contradictoires, mais nous choisissons de suivre les conclusions de la première étude car le but de Bhardwaj n'était pas d'étudier l'excitation interne de ses agrégats mais plutôt leur comportement dissociatif dans des collisions. En revanche, l'expérience de photodétachement (avec la caractérisation fine des seuils) est intrinsèquement une évaluation de l'excitation interne. Malheureusement, ce type d'études ne permet pas l'évaluation des populations relatives constituant un faisceau. En conséquence, nous sommes obligés de conclure que nous ne connaissons pas non plus les proportions des différents isomères peuplés dans notre faisceaux, d'autant plus qu'ils n'ont pas la possibilité de se relaxer vers la structure fondamentale A.

La production d'espèces neutres résultant de l'interaction entre une cible C4- et un électron est présentée sur la figure ci-dessous. Les quatre courbes ont été extraites par la méthode de la grille. Chacun des canaux correspond à un processus à seuil : le minimum d'énergie requis (~ 6 eV, répulsion coulombienne incluse) est pour le détachement pur -en bleu vraisemblablement le seuil correspondant à la structure rhombus D-, tandis que davantage d'énergie doit être injectée dans l'agrégat pour ouvrir les processus de détachement accompagnés de dissociation (en rouge, carrés vides : formation de C3 + C, ronds vides : formation de 2C2, triangles vides : formation de C2 + 2C). On remarquera l'ordre de grandeur différent des sections efficaces pour le détachement pur d'un côté, et pour les processus dissociatifs de l'autre, le premier étant bien plus efficace 87 % du flux à 15 eV-.

Le cadre en haut à droite est un zoom de la région de seuil pour le détachement pur. La ligne en pointillés montre un ajustage utilisant le modèle classique de type sphère dure de la forme

,

avec Ethexp = 6 eV. La ligne verte représente un fit d'une fonction lorentzienne

,

obtenu en prenant les données expérimentales soustraites des contributions du modèle « sphère dure ». Les paramètres du fit sont les suivants : Er = 6,75 eV et = 0,93 eV. Nous attribuons la structure résiduelle à une résonance associée à l'ion négatif doublement chargé C4 2-, de très faible durée de vie, soit 0,7 fs. Une structure similaire avait été observée par le groupe d'Aarhus dans leur étude de l'ion C2- par impact électronique. Elle apparaissait également dans le canal de détachement pur, C20. Il est bien clair que les ions C2- ions produits par (auto)détachement simple des ions C2 2- ne seraient pas différentiables des ions primaires circulant dans l'anneau, cette remarque s'appliquant également à notre étude sur C4-. On ne peut donc pas a priori exclure que l'(auto)détachement simple ait lieu dans notre expérience, mais si tel avait été le cas, nous aurions observé un taux de comptage supplémentaire sur notre détecteur à scintillation qui enregistre en temps réel la population d'ions, et tel n'a pas été le cas. Notre valeur de 0,7 fs pour la durée de vie de l'état  métastable C4 2- est compatible et du même ordre de grandeur que la valeur de 0,3 fs trouvée pour C2 2-. Dans ce dernier cas, les deux électrons étant plus proches, la répulsion est plus forte, et la durée de vie est alors plus courte.

Des calculs de chimie quantique ont été menés sur l'ion C4 2-. Nous nous sommes focalisés sur sa stabilité en reprenant les différentes structures observées pour C4-. L'état fondamental est à nouveau une structure linéaire, d'état électronique 1g+. Les longueurs des liaisons (1,411 Å pour la centrale et 1,256 Å pour les deux extérieures) sont similaires à celles obtenues par Watts et al dans une étude ROHF (respectivement 1,427 Å et 1,243 Å). L'effet net sur la géométrie de C4 2- qui résulte de l'ajout d'un électron sur C4- ion, est une accentuation de la différence de longueur entre la liaison centrale et les deux périphériques (qui passe de 0,066 Å à 0,155 Å). Ce résultat obtenu par des calculs de corrélation, confirme ceux d'une étude antérieure, de type ROHF, et dans laquelle les auteurs suggérait de représenter le dianion suivant  -C C-C C-. Une analyse de Mulliken indique en outre, que les deux électrons sont essentiellement localisés sur les deux bouts de chaîne (-0,8 e sur chaque carbone). Un second isomère trouvé à 1,947 eV au dessus du premier, a une structure en anneau contenant 3 atomes de carbone et une structure électronique 1A1. L'analyse de Mulliken situe les deux charges négatives sur la queue. En ce qui concerne la forme rhombus, l'état correspondant est 1Ag ; il pourrait être stable mais la fonction d'onde à simple déterminant que nous avons utilisée ne constitue pas une description satisfaisante et ne nous permet donc pas de conclure. Nous avons également considéré les états triplets mais aucun minimum local n'a été observé dans les surfaces de potentiel.

Nous considérons maintenant la stabilité de l'ion C42- vis à vis du détachement. Pour ce faire, il faut évaluer l'affinité électronique adiabatique de C4-, qui est défini comme étant l'énergie libérée lorsqu'un électron excédentaire est ajouté à C4-, la géométrie étant autorisée à se relaxer. L'affinité pour la chaîne C4- est négative (-2,16 eV), ce qui signifie que l'ion doublement chargé négativement est métastable par rapport au système constitué de l'anion et d'un électron placé à l'infini. De façon similaire, nous avons trouvé que l'affinité électronique pour la structure en anneau C4- (2B1) est 2,90 eV. Etant métastable par rapport au détachement simple (et donc de très courte durée de vie), il nous semblait plausible que l'état résonant C42- puisse se stabiliser par émission d'un seul électron, mais il n'y a pas d'évidence expérimentale pour étayer ceci (voir plus haut). En revanche, on observe le détachement double, ce qui tend à indiquer que la relaxation implique davantage de réarrangement au sein de l'agrégat. En effet, il doit également y avoir des voies de dissociation ; nous les avons observées, Mathur et al également. Ces derniers ont mené une recherche systématique sur des petits agrégats de carbone doublement chargés négativement, et formés par ablation laser. Les paires d'ions, produits de dissociation de ces dianions, étaient détectées par temps de vol combiné à des mesures en multicoïncidence. De leurs travaux, il est clair que la dissociation de C42- donne C2- + C2-. Cette observation est confirmée par nos valeurs de longueurs de liaisons du dianion : 1,411 Å pour la liaison centrale et 1,256 Å pour les deux externes. La liaison centrale est simple tandis que les liaisons périphériques sont triples, la première est donc plus facile à rompre.