AGREGATS DE FLUORURE DE SODIUM : spectroscopie nano et femtoseconde de Na3F

Les caractéristiques structurelles et électroniques dans les agrégats de fluorure de sodium tel que Na3F sont très intriquées : deux isomères peuvent donc présenter des P.I. très différents ce qui permet une grande sélectivité dans des expériences résolues en temps. En ce qui concerne les 2 isomères de Na3F, le plus bas en énergie est de symétrie C2v, présente une structure quasi-planaire et a un P.I. vertical de 4,9 eV, tandis que l'autre structure 3D est de symétrie C3v et a un P.I. vertical de 4,4 eV.

Les agrégats sont produits par vaporisation laser. Le sodium provient du barreau vaporisé, tandis que le fluor provient du SF6 présent dans le gaz porteur (He). Dans nos conditions expérimentales, nous évaluons les populations d'isomères Na3F C2v et C3v, respectivement à 85 et 15 %. Les faisceaux laser sont focalisés sur les agrégats, entre les 2 premières plaques d'un spectromètre de masse par temps de vol. La figure ci-dessous présente les courbes de photoionisation (b) et de photoabsorption (c). Sur la partie (b), le seuil d'ionisation est 4,3 eV, proche des 4,4 eV calculés pour l'isomère C3v, et plus faible que les 4,9 eV de l'isomère C2v. Ces données, ajoutées à celles en photodépopulation (c), nous suggèrent l'interprétation suivante : les spectres observés sont ceux de la structure C2v, et le pic observé en photoionisation à 4,65 eV correspondrait à une résonance de pré-ionisation de cet isomère.

 

(a)

(b)

 

(c)

 

 (a) Les 2 isomères de Na3F. (b) Efficacité de photoionisation de Na3F. Traits verticaux pour les valeurs ab-initio des ionisations verticales. Flèches descendantes : énergie du photon sonde dans l'expérience en photodépopulation, et énergie totale pompe + sonde dans l'expérience femtoseconde. (c) Spectre de photoabsorption de Na3F obtenu en photodépopulation. Forces d'oscillateurs pour des excitations verticales pour les isomères C2v et C3v, respectivement en traits pleins et traits pointillés. Au dessus, forme des pulses femtosecondes.


Photoionisation résolue en temps

Le facteur expérimental discriminant du schéma d'excitation pompe-sonde est la détection des ions Na3F+. L'énergie totale des photons pompe + sonde doit être juste au dessus du potentiel d'ionisation de la structure C3v, de manière à être le plus sensible possible à tout changement structurel. En outre, de manière à ne pas trop exciter vibrationellement l'état électronique sondé, l'énergie de la pompe est choisie juste sur le bord inférieur de la bande d'absorption (état 11B1 à ~ 2,4 eV). Les pulses laser sont générés par deux NOPA : l'un à 510 nm (de largeur spectrale 15 nm), l'autre à 620 nm (40 nm). Les profils spectraux de ces pulses sont présentés en haut de la figure ci-dessus en (c). Le signal de cross-corrélation a une FWHM de 180±10 fs (voir figure ci-dessous en rouge). Soulignons que des « chirps » linéaires, même de faible amplitude (évalués ici à 800 fs2), provoquent des pertes de résolution temporelle dans des expériences pompe-sonde. Afin de corriger les effets liés à l'instabilité de la source d'agrégats, nous avons normalisé le signal ionique pompe-sonde sur celui, non nul, obtenu avec la pompe seule (proportionnel au nombre d'agrégats).

Cercles bleus : expériences. Trait vert : ajustement d'un signal pompe-sonde théorique simplifié. Trait rouge : signal de cross-corrélation (FWHM 180 fs)

 

Le signal pompe-sonde obtenu pour Na3F est présenté ci dessus en cercles bleus. Nous observons des oscillations amorties de période o superposées à une décroissance exponentielle, caractéristique de la durée de vie e de l'état électronique 11B1 sondé. Le dépouillement des données conduit aux caractéristiques suivantes pour la dynamique : e =  1280 ± 50 fs, o  = 390 ± 10 fs, =3.47 ± 0.50 rad (déphasage par rapport à l'origine des temps).

Nous associons les oscillations à une excitation vibrationnelle de l'agrégat photoexcité ; une autre façon de voir les choses consiste à les interpréter comme une variation du potentiel d'ionisation induite par le mouvement internucléaire. Ce mouvement provient vraisemblablement du pliage de la sous-structure Na2F perturbé par le troisième atome de sodium. Ceci est corroboré par le fait que la période d'oscillation mesurée pour Na3F est sensiblement le double de celle pour Na2F, la dégénérescence de rotation étant levée par la présence du troisième atome de sodium.

En ce qui concerne la décroissance exponentielle e observée, il existe une alternative possible :  elle provient soit d'une fragmentation, soit d'une évolution vers des structures de Na3F qui ne sont plus ionisables par la sonde. Il n'est pas possible dans notre configuration expérimentale de tester la première hypothèse en raison de la présence pléthorique de petits fragments dans les spectres de masse.

Un fait surprenant concerne l'absence de dépendance temporelle manifeste pour des délais pompe-sonde « négatifs ». En effet, il devrait être possible d'ioniser avec des photons de 510 nm après avoir excité Na3F avec des photons à 620 nm (la bande d'états dégénérés 11B2 + 21A1). Cette absence pourrait être liée aux strictes conditions imposées par l'énergie totale (proche du seuil).