Ionisation et fragmentation de biomolécules par collisions ioniques

Les retombées de ces études se situent dans le domaine de la radiothérapie (proton-thérapie, hadron-thérapie). L'irradiation (au sens large) permet de neutraliser des cellules cancéreuses en endommageant leur ADN, bio-molécule la plus sensible au rayonnement dans les tissus vivants et dont tout dommage a des effets biologiques macroscopiques. Cette dernière, de forme hélicoïdale et constituée de deux brins, est la partie de la cellule qui porte le code génétique. Entre les deux brins constituant le squelette de la molécule, les bases Thymine / Adénine et Cytosine / Guanine sont liées par paires via une liaison hydrogène. L'irradiation peut soit casser l'un des brins de l'ADN, soit les deux. Dans le premier cas, la cellule peut se réparer (avec risque de mutation), dans le deuxième cas, la mort de la cellule est plus ou moins inéluctable. Bien comprendre les processus en jeu, permettra à terme de contrôler les dommages et d'augmenter les effets de la radiothérapie en suggérant des nouvelles molécules radio-sensibilisantes.

La communauté scientifique, et celle des physiciens en particulier, en est aux prémisses de la compréhension des interactions élémentaires ions/matière biologique. Ceci peut vraisemblablement se justifier par la diversité des processus en jeu et des temps caractéristiques extrêmement courts des dits phénomènes : ceux d'origine physique (10-15 s), ceux d'origine chimique (10-8 à 10-9 s). Jusqu'à peu, il était relativement bien admis que les liaisons intra-ADN étaient rompues soit par ionisation directe, soit par ionisation indirecte de l'eau (milieu biologique solvaté) via la formation des très réactifs radicaux libres. Une question vient alors naturellement qui concerne les énergies minimales nécessaires pour provoquer une rupture simple et/ou double brin de l'ADN. Ces seuils sont évalués à environ 20 eV pour la rupture « simple brin », et à 50 eV pour la « double brin », ce qui nécessiterait apparemment des projectiles rapides pour certains processus. Le groupe de d'A Chetioui,  de P6, travaillant par irradiation de cellules, a suggéré il y a déjà pas loin d'une dizaine d'années, la possible implication d'ionisations en couche interne qui provoqueraient une émission d'électrons Auger rapides. Lorsqu'un projectile heurterait un premier brin d'ADN, il provoquerait l'émission d'électrons Auger suffisamment énergétiques qui, migrant vers le second brin, le briseraient à son tour. Si ce mécanisme semble plausible de prime abord, d'autres électrons moins rapides, « non - Auger », résultent également de l'interaction, et bien que se thermalisant en quelques picosecondes, font de lourds dégâts dans la cellule en y déposant également leur énergie. Plus récemment, le groupe de L Sanche de l'université de Sherbrooke au Canada a pu montrer en fait que des électrons de très faible énergie (< 20eV) pouvaient, par attachement dissociatif (avec formation de résonances d'ions négatifs), induire des ruptures simple et double brins de l'ADN selon :

e + RH RH*- R* + H-

L'état résonant RH*- se dissocie et la rupture double brins a lieu lorsque les fragments, en particulier le radical R*, atteignent le brin opposé. Ces travaux constituent une sérieuse remise en cause de la croyance bien établie que les dommages génotoxiques sur l'ADN par des électrons secondaires ne sont possibles qu'au-dessus des seuils d'ionisation. Ces mêmes résonances se retrouvant dans l'interaction électron/bio-molécule individuelle, les dommages créés à l'ADN peuvent être étudiés à un niveau moléculaire.

Des travaux en phase gazeuse ont été menés dans le même esprit par le groupe de TD Märk à Innsbruck sur les molécules d'uracil (base de l'ARN) et des bases de l'ADN (cytosine, thymine...). A nouveau, il a pu être montré que des électrons bien en dessous du seuil d'excitation électronique (< 3eV) parviennent à décomposer efficacement la molécule d'uracil en des radicaux hydrogénés et fragments anioniques d'uracil (U - H) -. La réaction d'attachement est favorisée par la grande affinité électronique du radical (U - H). De même sur l'ADN, des mesures d'attachement électronique entre 0 et 9 eV sur les bases Thymine et Cytosine ont montré que les canaux dominants sont (T - H) - et (C - H) -. De tout ce qui précède, il est clair que les électrons secondaires, Auger ou « non-Auger », créés lors de l'interaction entre l'ion lourd et les molécules environnantes peuvent jouer un rôle primordial dans les ruptures simple et double brins de l'ADN. Il est donc essentiel de déterminer la distribution des vitesses de ces électrons.

Exemple : spectroscopie électronique sur l'uracile